Pastoralisme et muletage : L'âne, trait d'union des estives
Date de publication : Aug 25, 2010 11:6:19 AM
Une initiative intéressante dans les Pyrénées : approvisionner les bergers en estive grâce à nos compagnons aux longues oreilles. Une surprise cependant de ne pas utiliser la mule locale, la mule pyrénéenne.
C'est nettement mieux que de faire tourner un hélicoptère.
Une petite précision par rapport à cet article : le conducteur d'un âne est un ânier, celui d'une mule ou ou mulet, un muletier.
Sud-Ouest - 25 août 2010 08h42 - Par Marcel Bedaxagar Le service de muletage permet aux bergers d'accéder à leur ravitaillement et de descendre leurs fromages sans bourse délier. Deuxjeunes ont repris ce service. Rencontre avec Romain Delage sur les rudes pentes desestives en vallée d'Aspe.
«Allez ! Allez ! Priou, Priou ! » La pente est raide. Pedro et Marius ont bien besoin des encouragements de leur maître. Car la charge est lourde, sur ces sentiers de haute montagne. Pedro et Marius sont les deux ânes que Romain Delage conduit à la cabane de Yèse, sur la commune d'Etsaut, à plus de 1 700 mètres d'altitude, avec une dénivelée positive de 1000 m.
Récupérées dans leur prairie de la vallée d'Aspe tôt le matin, transportées dans une fourgonnette jusqu'au départ du sentier sur les hauteurs d'Etsaut, les deux bêtes sont d'abord préparées avec grand soin. Leur bât, spécialement conçu en aluminium léger, est fixé comme il se doit. La lourde charge est ensuite équitablement répartie des deux côtés de chacun des deux équidés. « Normalement, on ne leur fait pas porter plus de 50 kilos mais aujourd'hui, le berger a reçu de la famille pour quelques jours et le ravitaillement est plus conséquent », explique le muletier. Un professionnel. Romain Delage et son associé Romain Duci travaillent en effet comme prestataires de service pour l'Institution patrimoniale du haut Béarn (IPHB).
En Aspe et en Ossau
Monter le ravitaillement aux bergers, leur descendre les fromages au retour, telle est leur mission. Ici, aux limites ou à l'intérieur du Parc national des Pyrénées, pas de piste pour les 4X4 ou les tracteurs.
L'étroit sentier qui monte à Yèse comme ceux de bien d'autres estives ne permet que le passage de l'homme et de l'un de ses plus fidèles compagnons : l'âne. Les deux Romain en ont douze, qu'ils ont rachetés avec tout le matériel à leur prédécesseur Jean-Pierre Olmos, pour créer l'entreprise Montane, sise au Faget-d'Oloron.
Et du début juin à la fin septembre, des estives sont desservies en vallée d'Aspe et en vallée d'Ossau. « Nous arrivons à prendre un jour de repos par semaine chacun mais il y a une rotation tous les jours », précise Romain Delage, qui se laisse guider par ses bêtes et n'a qu'à les pousser de la voix quand la fatigue commence à se faire sentir.
Des cèpes et des myrtilles
Le départ permet de voir les dernières maisons d'Etsaut. Et de discuter avec un paysan qui travaille vraiment à l'ancienne sur les terres de la ferme Larrouy. « Il fauche tout à la main, ce qui, en début de saison, apportait une floraison exceptionnelle dans ses prairies. C'était magnifique. Et on peut dire qu'il fait le meilleur foin de la vallée », souligne le muletier admiratif.
L'homme est là, justement, qui étend son regain à la main, à l'aide d'une simple fourche à deux dents. « Avec une machine, on irait trop vite », plaisante le faneur en échangeant quelques mots avec Romain Delage. Mais les ânes avancent et il faut continuer.
La marche n'empêche pas le muletier de regarder aux alentours et de cueillir un joli cèpe, que sa couleur blanche de champignon légèrement asséché a permis de repérer. Plus haut, des myrtilles à foison s'offrent au regard. Le muletier y consacre un autre arrêt, en sortant son équipement, à savoir son peigne à myrtilles. Et le voyage se déroule sans encombre. « Parfois, il y a davantage de stress, surtout sur des sentiers caillouteux. Il est arrivé qu'un âne y glisse et se renverse avec sa cargaison. Heureusement, jusque-là ça n'a pas été grave. Car on a beau être assurés, si on perd les fromages du berger, c'est tout son savoir-faire qu'on met en péril », souligne Romain Delage.
Rien de tel en ce jour. Les deux heures et demie de montée un peu rude et sous un soleil de plomb sont vite oubliées. À l'arrivée à la cabane de Yèse, l'accueil est chaleureux. La nombreuse famille a tôt fait de décharger le ravitaillement et de le ranger. Les ânes sont libérés de leur bât et peuvent brouter à leur guise. Le muletier et la petite équipe qui l'accompagne apprécient à leur juste valeur les bières que le berger Bertrand Domingeus sort d'un petit abreuvoir où l'eau ne dépasse pas les 5°.
Au lycée
Les deux associés, Romain Delage et Romain Duci, se sont connus au lycée agricole de Montardon. « Après, j'ai fait un BTS gestion et protection de la nature, puis une licence pro en écotourisme », poursuit Romain Delage. « Au lycée, on a découvert l'escalade et nous sommes allés monter un projet montagne en Géorgie car l'on y trouve les plus beaux sommets à proximité de la France. Mais la guerre a éclaté et on est revenus la queue entre les jambes, en laissant tout là-bas. »
Pour rebondir, Romain Delage suit une formation d'élagueur et travaille dans une entreprise de la Côte basque, Arbolac. « Romain Duci, lui, était voisin de Jean-Pierre Olmos et il a un peu travaillé pour lui l'an dernier. Quand l'affaire a été mise en vente, il m'a contacté et on a répondu à l'appel d'offres de l'IPHB. »
Le muletage reste un travail très saisonnier. « J'essaierai de monter ma propre entreprise d'élagage et avec nos ânes qui ne font rien l'hiver on peut participer à des opérations de nettoyage de la forêt car il reste pas mal d'arbres couchés », espère le jeune homme. Pour l'heure, il est invité à la table du berger et de sa famille. Les journées sont encore longues, il aura largement le temps de descendre les fromages en fin d'après-midi.
Pour Bertrand Domingeus, qui, avec l'aide d'un salarié garde plus de 1000 brebis dont 400 qui lui appartiennent et fait le fromage tous les jours, cette aide est précieuse.
« Elle est indispensable et ça fait beaucoup de tracas en moins. Si je devais faire moi-même ce trajet, ça me prendrait la journée. Là, il n'y a plus qu'à commander et attendre. En plus c'est bien fait », estime le berger d'Escout, qui, après l'avoir occupée il y a vingt ans, retrouve enfin cette cabane de Yèse, propriété de la commune d'Etsaut qui l'a superbement rénovée.
Satisfaction générale
« J'étais à Bedous ces dernières années mais il y avait des problèmes d'eau et je ne pouvais pas y faire de fromage. Ici, tout est parfait », souligne Bertrand Domingeus. Un berger qui reste tout l'été en estive et qui, grâce à ce service de muletage, n'a pratiquement plus à se déplacer. « Hier, je suis allé acheter du tabac en Espagne, c'est tout ! », sourit-il.
Précision importante, Bertrand bénéficie aussi de l'aide précieuse de son frère qui, après sa journée de travail aux eaux d'Ogeu, s'occupe avec son fils de faire les foins et les regains sur la propriété d'Escout. C'est lui qui est monté en ce vendredi à Yèse avec sa famille, ce qui donne un air de fête à la journée. Bertrand Domingeus invite même un randonneur en marche vers le pic de Sesques à boire une bière à son tour. « Ceux qui arrivent ici sont de vrais montagnards. ils aiment discuter », apprécie-t-il en connaisseur.
Un service en marche depuis 1998
Mis en place depuis 1998 par l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB), le service de muletage a d'abord été assuré par Jacqueline Tapie d'Issor, surnommée Jacotte. Fabrice Bonpas a pris le relais pendant deux ans, et Jean-Pierre Olmos a assuré la suite pendant quelques années. Mais l'activité était en léger déclin l'année dernière.
« La reproduction du gypaète qui entraînait automatiquement la suppression de l'héliportage et le basculement au muletage gratuit, a été mauvaise, ce qui a provoqué en partie cette diminution des rotations », explique Didier Hervé, directeur de l'IPHB.
Montane, la société montée par Romain Duci et Romain Delage, est donc le quatrième prestataire de services de l'Institution patrimoniale.
Cette dernière les a aidés à monter leur affaire. « Mais on a lancé une consultation d'entreprises et ils ont répondu à un appel d'offres », insiste Didier Hervé.
Le directeur évoque une action dans le domaine du développement durable. Nous portons notre appui à la création d'entreprises locales et nous les soutenons dans leur démarche, précise-t-il.
Cette année, l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn consacre 40 000 euros à cette opération de muletage qui a débuté en juin dernier et se terminera lorsque les bergers descendront de leurs estives. En octobre si la neige leur en laisse le loisir !
M. B.
Source : http://www.sudouest.fr/2010/08/25/l-ane-trait-d-union-des-estives-168593-4132.php